Philosophie du fil de fer barbelé.

Résumé d’un article du philosophe Olivier Razac (Le Monde diplomatique, ).

Mots-clés : ville, violence, sécurité

Olivier Razac est un philosophe français, spécialisé dans l’étude des formes de domination.

Introduction.

Inventé en 1874 par un agriculteur américain, Joseph Glidden, pour clôturer les propriétés des Grandes Plaines, le fil de fer barbelé est immédiatement devenu un outil politique de première importance.

Si le barbelé de type « Glidden », avec ses petites pointes, est désormais cantonné à l’usage agricole, c’est le barbelé de type « rasoir » qui est utilisé pour repousser les hommes. Olivier Razac note que la forme de la lame change selon l’utilisation prévue, et peut relever de la simple dissuasion comme avoir la capacité de blesser mortellement.

Il ajoute :

L’écart entre la simplicité de l’objet et l’importance de ses effets montre que la perfection d’un outil d’exercice du pouvoir ne se mesure pas à son raffinement technique, que sa puissance ne passe pas nécessairement par une débauche d’énergie, ou encore que la plus grande violence n’est pas forcément la plus impressionnante.

Un usage contemporain différent selon le lieu et le contexte.

D’après Razac, le barbelé fonctionne comme un révélateur de différences dans la gestion politique de l’espace, selon 3 facteurs :

  1. le niveau de violence et d’inégalités des sociétés où il est utilisé ;
  2. le niveau de sensibilité à la violence subie et perçue dans ces sociétés ;
  3. la variabilité géographique de la force évocatrice des outils utilisés : la perception du barbelé n’est pas la même en Europe qu’en Chine ou en Afrique, en particulier dans la mesure où il existe un rapport différent avec les objets historiques que symbolise le barbelé — les camps, le génocide.

L’auteur conclut :

Ces trois facteurs dessinent finalement une géographie politique du barbelé — laquelle ne correspond d’ailleurs pas aux découpages politiques plus conventionnels (démocratie versus dictature). La réponse à la question “barbelé ou pas barbelé ?” est un indicateur assez fiable de la technologie politique et du genre de rapports entre gouvernants et gouvernés.

Vers l’au-delà du barbelé ?

Si la croissance du paradigme immunitaire (Alain Brossat) dans les sociétés occidentales limite l’usage du barbelé aux usines classées dangereuses, aux casernes ou aux prisons, il suppose l’évolution des ségrégations spatiales mais pas leur abolition :

Plus précisément, il existe un jeu d’opposition entre, d’un côté, des tactiques d’euphémisation de la violence spatiale qui nécessitent l’absence d’outils agressifs comme le barbelé et, d’un autre, la persistance de tactiques dissuasives qui s’appuient sur une brutalité visible.

Si le barbelé des villes modernes est de plus en plus dissimulé, voire remplacé, par exemple, par des clôtures végétales qui ne sont pas moins efficaces, l’efficacité et la discrétion des délimitations sont plutôt obtenues par des moyens technologiques virtualisés : caméras, portails électroniques, senseurs…

À l’inverse, la charge symbolique négative et inconsciente du barbelé peut agir comme un instrument de dissuasion, suivant le calcul — politique et pragmatique — qui décide de son utilisation. Il ne s’agit plus de tactique d’euphémisation mais son contraire. Dès lors, l’agressivité de la clôture permet, au choix, de :

Loin d’être binaire et archaïque, l’enjeu des divisions de l’espace réside ainsi dans des stratégies multiples et raffinés de violence politique.