Le care.

Histoire et fondements théoriques de la philosophie du care.

Extrait d’un article de Sandra Laugier (Universalis).

Mots-clés : éthique, détail, justice, morale, sensible

C’est donc bien la théorie de la justice telle qu’elle s’est développée dans la seconde moitié [du 20ème siècle], jusqu’à s’installer en position dominante dans le champ de la réflexion politique et morale, qui est dans la mire des approches du care : non seulement parce qu’elles mettent en cause (en s’appuyant sur les arguments devenus classiques des approches inspirées par les théories du « genre ») l’universalité de la conception de la justice illustrée par Rawls, mais aussi parce qu’elles transforment la nature même du questionnement moral et du concept de la justice.

L’enjeu, par-delà les débats féministes et politiques, est le rapport à la vie ordinaire. Le care propose en effet de ramener l’éthique au niveau du sol raboteux de l’ordinaire, pour reprendre une expression de Wittgenstein. Il cherche à donner une réponse pratique à des besoins spécifiques qui sont toujours ceux d’autres singuliers (qu’ils soient proches ou non). Travail accompli tout autant dans la sphère privée que dans le public, engagement à ne traiter personne comme partie négligeable, sensibilité aux détails qui importent dans les situations vécues : autant de traits qui engagent une transformation de la perception des choses, et notamment une attention au détail, aux situations spécifiques, contre les grands principes moraux.

Quelle est la pertinence de la sensibilité individuelle ? Qu’est-ce que le singulier peut revendiquer ? C’est en redonnant sa voix (différente) au particulier, à l’intime, que l’on peut assurer l’entretien – tant au sens d’une conversation que d’une conservation – d’un monde humain. Le sujet du care est un sujet sensible en tant qu’il est affecté, pris dans un contexte de relations, dans une forme de vie – qu’il est attentif, attentionné, que certaines choses, situations, moments ou personnes comptent pour lui. Le centre de gravité de l’éthique est ici déplacé du « juste » à l’« important ».

Prendre la mesure de cette importance du care pour la vie humaine suppose de reconnaître que la dépendance et la vulnérabilité ne sont pas des accidents de parcours qui n’arrivent qu’aux « autres » mais sont le lot de tous, y compris de ceux qui semblent les plus indépendants. À contre-courant de l’idéal d’autonomie qui anime la plupart des théories morales, le care nous rappelle en effet que nous avons besoin des autres pour satisfaire nos besoins primordiaux.