Le fascisme.

Histoire et fondements théoriques du fascisme.

Fascisme et capitalisme

Résumé et extraits de l’article de , dans les Nouveaux Cahiers du socialisme ().

Mots-clés : antifascisme, capitalisme, fascisme, philosophie politique

Définition(s)

[Le fascisme] est un mode de gestion du rapport de classes dans un contexte de crise économique et de crise politique menaçant les classes dominantes.

Il existe une multitude de définitions « spontanées » du fascisme. Celles-ci sont en apparence « spontanées » au sens où les personnes qui en parlent ne les réfèrent pas à un corpus théorique précis ou à une analyse du fascisme identifiée. Au-delà de l’apparence cependant, ces définitions sont le reflet des luttes idéologiques entre classes sociales. En particulier le discours dominant sur le fascisme transmis par une multitude de canaux constituant les « appareils idéologiques d’État » (discours médiatique, contenus des enseignements des cours d’histoire, contenus et formes des commémorations, etc.), contribue à imposer « spontanément » certaines définitions et à en éliminer d’autres.

Notamment, la classe dominante a intérêt à diffuser une lecture idéaliste du fascisme (pouvoir des idées et des hommes qui les portent) plutôt que matérialiste (pouvoir des facteurs matériels et de leurs évolutions). Dans cette lecture, le fascisme n’est qu’un accident de l’histoire lié aux circonstances particulières de la première guerre mondiale et au traumatisme qu’elle a constitué, de même qu’une exceptionnalité nationale de certains pays (Allemagne et Italie ; pays d’unification tardive et d’industrialisation rapide menées sous la direction d’une classe féodale se muant en classe capitaliste). Les lectures idéaliste et matérialiste ne s'opposent pas nécessairement, mais négliger la seconde occulte la nature de l’apparition et de l’évolution du fascisme. Le fascisme peut s’identifier par sa forme violente, dictatoriale et raciste. Mais d’autres modèles politiques (y compris communément considérés comme démocratiques) peuvent s’identifier ainsi.

Une troisième idée « spontanée » du fascisme consiste à le définir par une ou plusieurs de ses formes historiques, le plus souvent ses formes nazie ou mussolinienne. Cette approche occulte que le fascisme comme forme du pouvoir est doté d’une dynamique historique, c’est-à-dire qu’il adapte ses formes aux besoins du contexte. Il en est du fascisme comme du racisme pour lequel la forme historique peut varier pour préserver le fond. Le racisme a ainsi historiquement pris une forme biologique, puis après la défaite du nazisme et les luttes anticoloniales une forme « culturaliste », avant d’adopter aujourd’hui une forme « civilisationnelle » dans ses versions que sont l’islamophobie, la négrophobie, le racisme anti-rom ou anti-asiatique. Ceux qui adoptent cette approche attendent les défilés de chemises brunes. Ils oublient ainsi que le fascisme contemporain peut très bien s’accommoder du costume cravate ou du jeans.

Le fascisme n’a jamais de forme pure, il est toujours historiquement et nationalement situé. De la même façon le fascisme ne peut pas se diagnostiquer à partir du discours qu’il tient sur lui-même. Très peu de fascistes aujourd’hui se définissent publiquement et explicitement comme fascistes. C’est d’ailleurs un des éléments de distinction de la période d’avant 1945 et de celle d’aujourd’hui. Beaucoup de militants antifascistes sous-estiment la victoire populaire qu’a été la défaite du nazisme ou n’en mesurent pas toutes les conséquences. Le mouvement ouvrier, le mouvement antifasciste et le mouvement anticolonial ont imposé durablement une frontière de légitimité rendant impossible ou difficile de se revendiquer explicitement du fascisme aujourd’hui. Le fascisme est ainsi contraint de se présenter différemment, de faire passer en contrebande sa marchandise en quelque sorte. Le combat essentiel aujourd’hui n’est pas de chasser le fasciste explicite mais de déceler l’idéologie fasciste dans des mouvements qui ne le revendiquent pas.

Lutte antifasciste

Il ne suffira donc pas d’éradiquer des fascistes ou de les neutraliser (même s’il faut bien sûr le faire) pour éliminer définitivement le fascisme. Seul est un antifasciste conséquent celui qui ne se contente pas de combattre les fascistes explicites pour étendre le combat jusqu’au système social qui l’engendre. Un antifascisme conséquent ne peut pas ne pas être un anticapitalisme.

En revanche, les lectures idéalistes (dominantes dans le champs de l’école et des médias) posent le fascisme comme un anticapitalisme. (C’est d’ailleurs une autre raison de l’associer abusivement au communisme.) En vérité, les fascistes critiquent habituellement le capitalisme étranger, concurrent du capitalisme national :

Dans chaque nation les fascistes s’inscrivent ainsi dans les intérêts de leur classe dominante confrontée aux contradictions d’intérêt avec les autres capitalismes, c’est-à-dire aux contradictions inter-impérialistes.

Les aspects du capitalisme critiqués par les fascistes sont toujours ceux correspondants aux colères sociales les plus importantes du moment. La logique ici présente est celle de la critique d’une partie pour préserver le tout, de la critique d’un aspect pour protéger le système.

Le pseudo-anticapitalisme des fascistes et leur échelle des valeurs doivent être combattus en même temps. Il faut s’adresser aux personnes dont la révolte est dévoyée par le fascisme (Si le dévoiement doit être combattu, la révolte, elle, est saine.) Le fascisme conçoit la société de manière organiciste, c’est-à-dire qu’elle est comme un corps dans lequel chaque classe sociale a une place « naturelle » intangible. En outre, les fascistes trouvent l’origine des crises sociales dans le manque d’ordre et d’unité dans la nation. La lutte des classes est de ce fait considérée comme complicité objective face au péril civilisationnel qui nous menacerait. Autrement dit :

Les réponses proposées aux crises du capitalisme consistent à exiger le renforcement des idéologies et pratiques historiquement liées au capitalisme. Le système qui engendre les crises est présenté comme solution à ces crises.

Enfin, les fascistes méprisent le parlementarisme. Sur ce point :

Le discours antifasciste ne peut pas consister en une défense du parlementarisme qui n’est pas le nôtre mais qui est celui de la classe dominante. Il convient également de visibiliser les différences absolues entre la critique du parlementarisme des progressistes et celle des fascistes. Si eux critiquent le parlementarisme sur la base d’une exigence de moins de démocratie, notre critique se déploie elle sur la base d’une exigence de plus de démocratie directe. Ils pensent qu’il y a trop de démocratie, nous pensons qu’il n’y en a pas assez.

Fascisme et capitalisme

Le capital financier n’hésite pas à déplacer ses capitaux d’une branche à l’autre, d’un pays à l’autre dans la quête d’une force de travail la moins payée possible afin de maximiser son profit. Logiquement la concurrence au sein de ce capital financier mondial est féroce. Chaque capital financier national s’appuie dès lors sur son État national pour défendre ses intérêts face aux autre capitaux nationaux et à leurs États. C’est pourquoi le capital financier national se caractérise aussi par son caractère chauvin. Si les multinationales regroupent des capitaux appartenant à des actionnaires de plusieurs pays, cela ne veut pas dire qu’elles n’ont plus un ancrage national. Ce regroupement de capitaux de plusieurs pays se réalise toujours sous la direction ou la domination d’un groupe industriel et/ou financier d’un pays. Chaque multinationale du point de vue de ses capitaux est en fait nationale du point de vue du groupe dirigeant. Ce dernier peut s’appuyer sur la politique étrangère de son État pour faire avancer ses intérêts, c’est-à-dire maximiser ses profits. C’est cette fraction du capital, la plus réactionnaire, la plus impérialiste et la plus chauvine qui dans certaines circonstances a besoin du fascisme pour maintenir ses profits.

Il y a donc une offre de fascisme constituée par les organisations fascistes et une demande de fascisme constituée par d’abord certaines fractions de la classe dominante puis par des fractions plus importantes. Lorsque les deux se rencontrent la situation devient mûre pour que s’installe une dictature terroriste ouverte.

Ainsi, la définition de Georgi Dimitrov (dirigeant communiste bulgare) en 1935 est particulièrement valable aujourd’hui :

Le fascisme est une dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du capitalisme financier.

Le processus de fascisation

Bien avant que d’avoir besoin d’un pouvoir fasciste, la classe dominante se sert de son État pour réagir à la montée des luttes sociales. La répression de plus en plus violente de ces luttes, la restriction des droits et libertés démocratiques, la dissolution d’organisations contestataires, la modification de la législation vers une logique autoritaire et sécuritaire grandissante, la construction de groupes sociaux en boucs émissaires, etc., précèdent l’arrivée au pouvoir des fascistes. Ce n’est que quand ces mesures s’avèrent inefficaces et que le pouvoir est immédiatement menacé que la fascisation passe un seuil qualitatif en se mutant en fascisme.

Le processus de fascisation peut nécessiter un recours à la violence, mais se fait généralement en toute légalité. En outre, la fascisation est l’antichambre du fascisme, mais n’y mène pas systématiquement : tout dépend du rapport des forces. Or, les multiples crises de la mondialisation capitaliste (crises sociales, économiques et sanitaires) génèrent une paupérisation massive des classes populaires et un déclassement social des couches moyennes. Les luttes sociales se multiplient et se radicalisent. Dans le même temps :

L’exacerbation de la concurrence entre les différents pays capitalistes [se] concrétise par le développement des guerres pour la maîtrise des sources de matières premières et par une militarisation croissante. Le développement des discours chauvins sur l’identité nationale menacée n’est que l’expression de cette base matérielle que constitue la lutte entre les puissances impérialistes pour se partager le monde.

C’est pourquoi :

Si la classe dominante n’a pas encore besoin du fascisme, elle en prépare les conditions au cas où l’évolution de la situation sociale le rendrait nécessaire. Dans cette préparation de l’hypothèse fasciste comme dernier recours, la classe dominante entretient deux fers au feu : la tolérance vis-à-vis de groupes plus ou moins explicitement fascistes d’une part et l’accélération de la fascisation de l’appareil d’État d’autre part.

Dans ce contexte il est illusoire de combattre le fascisme en sous-estimant la gravité de la fascisation de l’appareil d’État. Il est tout aussi illusoire de sous-estimer le combat contre les groupes explicitement fascistes. Une fois au pouvoir ces groupes ne pourront être combattus que par la lutte armée comme au temps du nazisme. C’est dès aujourd’hui que nous sommes confrontés au double combat contre la fascisation et contre les groupes fascistes.

Essais d’interprétation du fascisme.

Extrait de l’article de , dans Encyclopædia Universalis (consulté le ).

Mots-clés : fascisme, histoire, nationalisme, philosophie politique

Pour les historiens des idées politiques, le fascisme constitue la synthèse de divers courants de pensée et de sensibilité issus du contexte intellectuel et moral des dernières années du xixe siècle et des premières années du xxe siècle : nationalisme, anti-individualisme, antilibéralisme, antirationalisme et anti-intellectualisme. Il se rattacherait donc directement au grand mouvement de remise en cause qui a profondément bouleversé la conscience européenne dans les années qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Les philosophies de l’intuition et de l’action, l’exaltation du sens tragique de la vie, les traditions d’un certain type de socialisme révolutionnaire, les doctrines du nationalisme et les systèmes de pensée antidémocratiques se seraient rencontrés et mêlés pour en préparer l’avènement.

Se plaçant sur un plan différent, d’autres auteurs voient dans le développement des mouvements fascistes une conséquence immédiate de la violence des crises qui ont ébranlé les structures sociales des pays européens à la suite de la Première Guerre mondiale, puis de la grande dépression économique de 1929. L’accent est mis sur les catégories sociales qui ont fourni aux diverses organisations fascistes les plus nombreux de leurs militants ou de leurs sympathisants : anciens combattants mal réintégrés dans la vie civile, jeunes générations en opposition avec l’ordre instauré par des aînés contestés, enfin et surtout les éléments de la moyenne et de la petite bourgeoisie (rentiers, employés, commerçants, artisans) qui se sentent menacés de prolétarisation par l’évolution économique ou la dépréciation monétaire. Le fascisme correspondrait ainsi à un éclatement des cadres sociaux traditionnels.

L’explication fournie par les analyses se réclamant des principes du matérialisme historique se veut plus précise : le fascisme serait essentiellement lié à l’action du grand capital (plus spécialement des milieux de l’industrie lourde) menacé à la fois par le progrès du socialisme et par l’amenuisement des profits. L’appui du grand capital serait ainsi à l’origine de tout mouvement fasciste, et c’est aux grands monopoles industriels, à l’accroissement de leur puissance de concentration et à l’augmentation de leurs surprofits qu’aurait d’abord servi la politique des fascismes au pouvoir. Cette interprétation est généralement partagée par les auteurs qui, sur le plan politique, définissent le fascisme comme un mouvement spécifiquement réactionnaire, permettant aux forces conservatrices de reprendre ou de conserver un pouvoir en passe de leur échapper.

À cette version s’oppose celle qu’ont parfois présentée certains ouvrages d’inspiration plus ou moins favorable au fascisme. Celui-ci s’expliquerait fondamentalement par une fonction de salut public. Les régimes de démocratie parlementaire s’étant montrés incapables de faire face à certaines menaces d’une particulière gravité, le fascisme aurait tendu à répondre à ces menaces par l’établissement d’un système dictatorial et militaire, inspiré des formes prises par le pouvoir au cours de la Première Guerre mondiale : la mobilisation de tous est opérée au profit d’un grand dessein collectif.

Il convient enfin de signaler l’interprétation d’ordre psychologique développée par quelques auteurs. Le fascisme correspondrait à la peur de la liberté qu’éprouverait tout individu isolé, ayant perdu l’appui des autorités traditionnelles qui l’enserraient et le protégaient (famille, Église, ordres professionnels, etc.). Au désarroi entraîné par un total abandon à soi-même, le fascisme viendrait apporter une compensation : la communauté et la solidarité retrouvées, aux dépens de la conscience individuelle, dans la participation à un grand mouvement collectif. Par là, le fascisme ne serait qu’un des aspects d’un phénomène plus général : le phénomène totalitaire.