Face au populisme, le populisme ?
Résumé d’un entretien avec Éric Fassin sur France Culture,
Mots-clés : Front national, populisme
Référence : Éric Fassin, Populisme : le grand ressentiment, Collection Petite encyclopédie critique, Textuel, 2017, 86 pages, ISBN : 978-2-84597-578-1.
Classes populaires et Front national.
Le politologue Pascal Perrineau soutient la thèse de l’électorat ouvrier, et particulièrement communiste, passé au Front national (FN) (il a forgé l’expression gaucho-lepénisme
). La sociologue Nonna Mayer et le politologue Florent Gougou tempèrent ce phénomène : les ouvriers qui votent FN sont avant tout et en majorité des ouvriers de droite, à l’imaginaire politique proche des travailleurs indépendants et des petits patrons. Gougou note que l’électorat ouvrier de droite [est] plus favorable à l’extrême droite qu’à la droite modérée
. Ainsi, les sondages post-électoraux de la Présidentielle étasunienne 2016 ont révélé, chez l’électorat pauvre (c’est-à-dire gagnant moins de 30 000 dollars par an), une nette désaffection pour le camp démocrate cependant qu’Hillary Clinton a obtenu 12 points de plus que Donald Trump pour ce même électorat.
Classes populaires et populisme.
Pour le sociologue Éric Fassin, la gauche n’a pas intérêt à s’adresser à celles et ceux qui votent désormais Front national, mais davantage à l’électorat populaire qui s’abstient de plus en plus (et, par définition, qui s’abstient de voter FN).
Il me paraît peu habile stratégiquement de revendiquer un populisme de gauche : c’est qu’on a l’impression d’être en rupture avec le système mais comme tout le monde est en rupture avec le système, on n’y gagne rien. […]
Je crois qu’il est important de considérer que les classes populaires sont comme toutes les autres classes sociales, c’est-à-dire qu’elles ont des opinions différentes. Le peuple ne pense pas d’une seule voix ; le peuple est divisé politiquement ; il y a des gens de droite et il y a des gens de gauche. Et bien entendu, il y a un peuple qui souffre, mais ce peuple qui souffre il traduit sa souffrance de manière différente : les uns vont choisir le ressentiment de l’extrême-droite, tandis que d’autres vont choisir la colère de l’extrême-gauche, et d’autres encore — et ils sont très nombreux — vont choisir le dégoût de l’abstention. Et je crois qu’il est important, de ce point de vue, de prendre au sérieux les classes populaires ; non pas avec la compassion condescendante qui revient à considérer que les pauvres sont condamnés à une politique de ressentiment, mais de considérer qu’après tout, comme tout le monde, ils font des choix, qu’ils sont des acteurs politiques, et qu’on doit faire appel à un peuple de gauche, et non pas à un peuple indifférencié qui finirait par être un peuple de droite.
En définitive, les classes populaire servent de prétexte au populisme
, qui fait de leur possible indignation un ressentiment, qui privilégie à une politique en positif (Que voulons-nous ?) une politique en négatif (Que rejetons-nous ?). Le problème, c’est que la constitution d’un « nous » est fondée sur l’exclusion d’un « eux »
. Si le populisme (et le vote populiste de droite) n’est pas nécessairement un adversaire du néolibéralisme — et aurait tendance, de Thatcher à Trump en passant par Orban ou Erdogan, a en être l’allié, populisme de droite et de gauche peuvent s’accorder sur un discours économiquement antilibéral. Alors c’est bien sur d’autres sujets, comme l’immigration, que le courant de gauche doit se différencier. Éric Fassin en conclut, sur la présentation de son livre Populisme : le grand ressentiment : Avant de construire un peuple, il faut construire une gauche.