Pages choisies, de Lénine.

Extraits tirés de l’édition Les bons caractères, .
Traductions et notices de Pierre Pascal.

Tome 2 : 1904-1914

Sur la question de la révolution « nationale ».

Pour remporter la victoire, la révolution doit, en un certain sens, être nationale. En effet, la victoire de la révolution exige l’union, dans la lutte pour ses revendications, de l’énorme majorité de la population. Cette majorité peut être faite soit d’une seule classe, soit de diverses classes ayant certains objectifs identiques. Quant à la révolution russe actuelle, il est exact qu’elle ne peut triompher que comme révolution nationale en ce sens que sa victoire exige la participation consciente à la lutte de l’énorme majorité de la population.

Mais là se borne la justesse relative de l’expression courante de révolution « nationale ». En dehors de ce qui vient d’être dit et qui n’est, à proprement parler, qu’un truisme (la victoire sur une minorité organisée et dominante ne peut appartenir qu’à une énorme majorité), on ne saurait tirer aucune autre déduction de cette notion. Il est donc radicalement faux et profondément anti-marxiste de l’employer comme une formule générale, comme un modèle, comme un critérium de tactique. La notion de révolution « nationale » doit rappeler au marxiste la nécessité de bien analyser les divers intérêts des diverses classes, qui se rapprochent sur certains objectifs communs déterminés et limités. En aucun cas, elle ne doit effacer ou éclipser l’étude de la lutte de classe au cours d’une révolution donnée. L’employer ainsi serait renier le marxisme et revenir à la vulgaire phraséologie des démocrates ou des socialistes petits-bourgeois.

page 251

Ainsi la révolution bourgeoise russe, comme toute révolution bourgeoise, commence nécessairement sous les mots d’ordre généraux de la « liberté politique » et des « intérêts du peuple », mais la signification concrète de ces mots d’ordre ne s’éclaircit pour la masse et pour les classes qu’au cours de la lutte, à mesure qu’on entreprend pratiquement de réaliser cette liberté, de remplir d’un contenu déterminé une notion vide et verbale comme, par exemple, celle de « démocratie ». À la veille de la révolution bourgeoise et à son début, c’est au nom de la démocratie que tout le monde entre en lice : et le prolétariat, et les paysans avec les éléments petits-bourgeois des villes, et les bourgeois libéraux avec les agrariens libéraux. C’est seulement au cours de la lutte de classe, au cours plus ou moins prolongé de l’évolution révolutionnaire, que se découvre la façon diverse dont cette démocratie est comprise par les diverses classes. Bien plus : on découvre alors un abîme profond entre les intérêts des diverses classes, qui réclament des mesures économiques et politiques différentes au nom d’une seule et même « démocratie ».

page 252

Tenir compte des « dispositions » peut être nécessaire pour déterminer le moment de telle ou telle action, démarche, appel, etc., mais nullement pour déterminer la tactique du prolétariat. Raisonner autrement, c’est remplacer la tactique prolétarienne cohérente par un asservissement impressionniste aux « dispositions ». Or, il s’est toujours agi de la ligne de conduite, et non du moment. Le prolétariat s’est-il ressaisi ou non (comme pense La Gazette populaire), c’est important pour juger du moment de l’action, mais non pour déterminer la ligne d’action de la classe ouvrière.

page 255

Tome 3 : 1914-1917

L’Internationale socialiste, son état actuel et ses objectifs.

La guerre n’est pas un accident, n’est pas un « péché » comme le pensent les curés (qui prêchent le patriotisme, l’humanité et la paix, au moins aussi bien que les opportunistes), mais une phase inévitable du capitalisme, une forme de la vie capitaliste aussi légitime que la paix. La guerre actuelle est une guerre des peuples. De cette vérité il ne résulte pas qu’il faille suivre le courant « populaire » du chauvinisme, mais que, pendant la guerre, à la guerre, et sous des aspects guerriers, continuent à exister et continueront à se manifester les antagonismes sociaux qui déchirent les peuples. Refus du service militaire, grève contre la guerre, etc., ne sont que sottises. C’est lâchement et misérablement rêver que d’engager désarmés un duel contre la bourgeoisie armée, c’est soupirer après la destruction du capitalisme, sans une guerre civile acharnée, sans une série de guerres civiles. La propagande de la lutte de classe dans la guerre même est le devoir du socialiste ; la transformation de la guerre des peuples en guerre civile est l’unique travail socialiste à l’époque du choc impérialiste entre les bourgeoisies armées de toutes les nations.

pages 24-25