BAZIN, André. Qu'est-ce que le cinéma ? Collection 7Art, Cerf, 2010 --- 1.ONTOLOGIE DE L'IMAGE PHOTOGRAPHIQUE 9 À l'origine, l'image a valeur de substitut à l'être qu'elle représente. Par la suite, sa fonction magique est désactivée mais elle reste un moyen de triompher du temps. L'art est donc la production d'images idéales du réel (« Si l'histoire des arts plastiques n'est pas seulement celle de leur esthétique mais d'abord de leur psychologie, elle est essentiellement celle de la ressemblance ou, si l'on veut, du réalisme. » (p.10) 10 À l'origine, la peinture mêle symbolisme et réalisme des formes (« réalité spirituelle »). Au XVe siècle, la perspective est le premier système « mécanique » copiant notre perception directe (réalisme des formes). Puis « l'expression dramatique dans l'instant », culminant dans l'art baroque, a permis le réalisme du mouvement. Au milieu du XIXe siècle, la crise de la peinture vient de son incapacité à être aussi réelle que le cinéma ou la photographie. À la fin du XIXe, les journaux illustrés servent à rendre le dramatique d'une situation, et la photographie n'a pris son sens qu'après. Désormais, la peinture se trouve donc divisée entre la représentation idéale (peinture moderne) et le réalisme : c'est un malentendu, une confusion entre la représentation formelle du monde et sa signification essentielle. Il y a division entre « le style » et « la ressemblance », notamment auprès de la classe bourgeoise (cf. note p.13). 12 La photographie et le cinéma satisfont l'obsession du réalisme et désactive le conflit esthétique. La valeur réaliste de la photo/cinéma n'est pas dans le résultat produit mais dans le mode de production (« La solution n'était pas dans le résultat mais dans la genèse », p.12) : c'est la moindre intervention et le caractère mécanique qui satisfont le spectateur. La photo/ciné est aussi une reproduction mécanique au sens où c'est une « prise d'empreinte de l'objet par le truchement de la lumière » (note p.12), un moulage (l'auteur fait référence au moulage des masques mortuaires). 13 La photo/ciné reste le mode de représentation le plus objectif et le plus crédible, même avec les choix du preneur d'images. La « psychologie de l'image » en est modifiée : elle n'est pas seulement plus vraie, mais elle « bénéficie d'un transfert de réalité de la chose sur sa reproduction » (p.14). Il y a donc une ontologie de l'image, qui tient du souvenir (embaumement) et de la croyance. Ainsi, la ressemblance de l'image à son modèle n'est pas nécessaire pour que l'illusion opère : « l'image peut être floue, déformée, décolorée, sans valeur documentaire, elle procède par sa genèse de l'ontologie du modèle ; elle est le modèle » (p.14) Le rapport au temps est aussi modifié : l'œuvre n'est pas la création d'une éternité mais l'embaumement du temps déjà là. 14 Le cinéma permet la pleine objectivité car il mêle le principe d'ontologie de l'image à celui de la dramatisation, de la signification profonde. Il mêle également embaumement et durée. Il y a donc révélation du réel plus qu'imitation, et cette révélation vient du procédé et de l'artiste mais pas du spectateur (« Seule l'impassibilité de l'objectif, en dépouillant l'objet des habitudes et des préjugés, de toute la crasse spirituelle dont l'enrobait ma perception, pouvait le rendre vierge à mon attention et partant à mon amour » (p.16). Le spectateur peut aimer ce qu'il n'aurait pas su voir sans la photo/ciné. Dans cette objectivité du preneur d'image, la chose représentée se fait artiste, amis aussi médiatrice : le cadre est un univers clos et hétérogène à celui qui l'entoure, tandis que la chose représentée est un médiateur de cet univers (« elle s'ajoute réellement à la création naturelle au lieu de lui en substituer une autre », p.16). 16 La mécanique de la représentation objective fait que se mêlent le réel et l'imaginaire, et qu'image et objet sont perçus de manière équivalente. Gràce à la photographie, l'art a abouti à son ambition première d'illusion et en même temps s'est libéré de la pratique du trompe-l'œil. 17 « D'autre part, le cinéma est un langage ».