Essais d’interprétation du fascisme.
Extrait de l’article « Fascisme » de Raoul Girardet, dans Encyclopædia Universalis (consulté le ).
Mots-clés : fascisme, histoire, nationalisme, philosophie politique
Pour les historiens des idées politiques, le fascisme constitue la synthèse de divers courants de pensée et de sensibilité issus du contexte intellectuel et moral des dernières années du xixe siècle et des premières années du xxe siècle : nationalisme, anti-individualisme, antilibéralisme, antirationalisme et anti-intellectualisme. Il se rattacherait donc directement au grand mouvement de remise en cause qui a profondément bouleversé la conscience européenne dans les années qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Les philosophies de l’intuition et de l’action, l’exaltation du sens tragique de la vie, les traditions d’un certain type de socialisme révolutionnaire, les doctrines du nationalisme et les systèmes de pensée antidémocratiques se seraient rencontrés et mêlés pour en préparer l’avènement.
Se plaçant sur un plan différent, d’autres auteurs voient dans le développement des mouvements fascistes une conséquence immédiate de la violence des crises qui ont ébranlé les structures sociales des pays européens à la suite de la Première Guerre mondiale, puis de la grande dépression économique de 1929. L’accent est mis sur les catégories sociales qui ont fourni aux diverses organisations fascistes les plus nombreux de leurs militants ou de leurs sympathisants : anciens combattants mal réintégrés dans la vie civile, jeunes générations en opposition avec l’ordre instauré par des aînés contestés, enfin et surtout les éléments de la moyenne et de la petite bourgeoisie (rentiers, employés, commerçants, artisans) qui se sentent menacés de prolétarisation par l’évolution économique ou la dépréciation monétaire. Le fascisme correspondrait ainsi à un éclatement des cadres sociaux traditionnels.
L’explication fournie par les analyses se réclamant des principes du matérialisme historique se veut plus précise : le fascisme serait essentiellement lié à l’action du grand capital (plus spécialement des milieux de l’industrie lourde) menacé à la fois par le progrès du socialisme et par l’amenuisement des profits. L’appui du grand capital serait ainsi à l’origine de tout mouvement fasciste, et c’est aux grands monopoles industriels, à l’accroissement de leur puissance de concentration et à l’augmentation de leurs surprofits qu’aurait d’abord servi la politique des fascismes au pouvoir. Cette interprétation est généralement partagée par les auteurs qui, sur le plan politique, définissent le fascisme comme un mouvement spécifiquement réactionnaire, permettant aux forces conservatrices de reprendre ou de conserver un pouvoir en passe de leur échapper.
À cette version s’oppose celle qu’ont parfois présentée certains ouvrages d’inspiration plus ou moins favorable au fascisme. Celui-ci s’expliquerait fondamentalement par une fonction de salut public. Les régimes de démocratie parlementaire s’étant montrés incapables de faire face à certaines menaces d’une particulière gravité, le fascisme aurait tendu à répondre à ces menaces par l’établissement d’un système dictatorial et militaire, inspiré des formes prises par le pouvoir au cours de la Première Guerre mondiale : la mobilisation de tous est opérée au profit d’un grand dessein collectif.
Il convient enfin de signaler l’interprétation d’ordre psychologique développée par quelques auteurs. Le fascisme correspondrait à la peur de la liberté qu’éprouverait tout individu isolé, ayant perdu l’appui des autorités traditionnelles qui l’enserraient et le protégaient (famille, Église, ordres professionnels, etc.). Au désarroi entraîné par un total abandon à soi-même, le fascisme viendrait apporter une compensation : la communauté et la solidarité retrouvées, aux dépens de la conscience individuelle, dans la participation à un grand mouvement collectif. Par là, le fascisme ne serait qu’un des aspects d’un phénomène plus général : le phénomène totalitaire.