Islam et société.

Les rapports entre la religion musulmane et la société aujourd’hui (droit, culture, économie, etc).

Le monde musulman, Marx et la révolution.

Résumé de l’article d’Alain Gresh, paru sur le blog du Monde Diplomatique,

Mots-clés : religion, socialisme, révolution

Islam et progrès social.

Le Coran accorde plus de place à la raison que les textes du judaïsme et du christianisme. Les notions de prédestination et de vanité des choses (communes aux autres religions) n’y contredisent pas l’appel à l’action. En outre, les règles de la tradition postcoranique, notamment la Sunna, sont diverses et parfois contradictoires : le choix de l’une sur l’autre émane des orientations de la vie sociale dans son ensemble.

Comme toute religion, l’islam s’est donc sécularisé pour survivre (le Coran dit ce que les musulmans disent qu’il dit résume le politologue Olivier Roy). L’orientaliste Maxime Rodinson invoque même Karl Marx pour un constat fondamental, que résume Alain Gresh : ce sont les conditions matérielles dans lesquelles vivent et produisent les êtres humains qui déterminent la manière dont ils pensent (et agissent).

Tentative de socialisme.

À la veille de la guerre des Six jours (1967), la gauche domine la scène idéologique arabe et menace les monarchies. Les régimes s’orientent vers :

Or, les populations (majoritairement rurales) sont profondément croyantes et poussent les pouvoirs à mobiliser les ressources de l’islam. La révolution se réclame alors du « socialisme islamique ». Néanmoins, ce discours est mieux maîtrisé par les interprètes réactionnaires, au service de la monarchie (comme l’Arabie Saoudite) et du néolibéralisme (ils profitent du soutien des États-Unis). D’après Rodinson, une remise en cause populaire de l’économie par l’islam est donc impensable aujourd’hui, car elle détruirait les structures établies.

Retour des islamismes.

À terme, le nationalisme arabe ne résiste pas à la défaite militaire de 1967, aux dérives autoritaires (Irak, Syrie), au développement économique et social fragile. Les couches populaires et les couches moyennes urbanisées « s’islamisent », de même que le discours des élites politiques. Pourtant, l’imprégnation religieuse n’est pas un obstacle aux mobilisations politiques, comme l’ont prouvé les révolutions arabes ou évidemment l’Amérique latine. En effet, la matrice de l’islamisme n’est autre que la reformulation dans un lexique plus endogène, de la vieille dynamique nationaliste ou anti-impérialiste. […] La résurgence des catégories de la culture islamique n’a pas nourri une mais une infinité de variétés de projets politiques (François Burgat, politologue).

À l’heure actuelle, il n’existe pas de théologie de la libération musulmane suffisamment influente. Les gouvernements islamistes n’ont pas su répondre pleinement aux défis économiques, sociaux et politiques de leur pays : semi-réussite en Turquie et en Tunisie, échec en Égypte. Ces échecs proviennent du conservatisme religieux et surtout d’un manquement à garantir la démocratie. Dans tous les cas, avec ou sans islam, avec ou sans tendance progressiste de l’islam, l’avenir du monde musulman est à longue échéance un avenir de luttes (Rodinson).

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Pouvoirs autoritaires au Moyen-Orient.

Histoire politique des sociétés du Levant depuis le début du XXe siècle : entre pétrole et Palestine.

Extraits de la préface de Ghassan Salamé, publiée dans Moyen-Orient : pouvoirs autoritaires, sociétés bloquées de Philippe Droz-Vincent, paru en .

Mots-clés : démocratie, nationalisme, pétrole, palestine

Dans une lignée ouverte par Albert Hourani et qui s’est ensuite épanouie grâce à l’apport de ses nombreux disciples, « la politique des notables », des dernières décennies de l’Empire ottoman jusqu’aux indépendances, est devenue un repère incontournable pour comprendre le politique dans le Levant arabe. […]

Deux facteurs régionaux et partiellement exogènes ont cependant eu un impact profond sur l’évolution de ces deux pays. Le premier, de loin le plus grave, est le conflit dans la Palestine voisine. […] Même si le conflit n’avait été qu’une simple justification à l’autoritarisme arabe, il aura joué un grand rôle dans la composition du politique. […] Contre la propagande des régimes en place qui se veulent plus nationalistes que les peuples qu’ils sont censés gouverner, et contre l’avis des « experts » qui pensent que des régimes plus démocratiques seraient plus enclins à accepter une solution injuste à ce conflit, il est fort à parier que des gouvernements démocratiquement élus seront au moins aussi exigeants sur l’essentiel que les régimes en place, sinon davantage. L’affaire palestinienne a certes pu être un cache-misère pour des régimes en mal de légitimité représentative : elle est profondément ancrée dans « l’idée de soi » que les sociétés professent.

Un autre facteur régional est également à prendre en considération : le pétrole. Aucun des pays des Échelles du Levant n’en est producteur (la Syrie produit une quantité limitée de pétrole et de gaz). Mais ils ont été très affectés, dans leur structure même, par son émergence sur la scène régionale. […] Pendant une bonne décennie de son histoire, la Jordanie était le pays le plus aidé, en termes non seulement relatifs, mais même absolus. Les transferts massifs des travailleurs expatriés dans les pays du Golfe, simples manœuvres, instituteurs, ingénieurs ou entrepreneurs, ont constitué la source d’importantes fortunes à Amman, Damas, Beyrouth ou Naplouse et, partant, le début de nouvelles ambitions politiques. L’aide directe des pays producteurs à ceux qui ne l’étaient pas ont permis aux gouvernements (qui tiraient déjà un grand avantage de l’expatriation volontaire des tranches d’âge les plus enclines à la contestation) de renforcer leur contrôle par des dotations qui les aidaient à moderniser leurs appareils de contrôle et de répression. Avec la dérégionalisation de cet immense marché régional du travail en raison des politiques de nationalisation des emplois dans les pays producteurs mais aussi de la fin des gros chantiers d’hier, les pays producteurs de main-d’œuvre (comme l’Égypte, la Jordanie, la Syrie ou la Palestine) sont face à un véritable défi auquel ils n’ont pas encore trouvé de parade, tant l’accoutumance à la rente pétrolière, comme une tache d’huile, s’était répandue dans les pratiques et les mœurs. […]

Après la phase des notables urbains, après celle des dirigeants populistes et des militaires assoiffés de promotion sociale autant que de pouvoir, est-ce le tour des islamistes ? Trop nombreux sont ceux pour qui la réponse est tellement évidente qu’il n’est guère plus besoin de se poser la question. Pour avoir observé que les islamistes, du moins dans cette région du monde, n’avaient vraiment d’impact mobilisateur que lorsque leur programme nationaliste (plutôt que le social ou le culturel) était prioritaire, j’ai tendance à penser que le vocabulaire peut changer (ou l’habit, ou la barbe) mais que, sur le fond, « la trahison des notables » reste vive dans les mémoires et l’intensité des sentiments nationalistes demeure telle qu’elle va continuer, pour un long moment encore, à peser sur l’éclosion d’une vague démocratique, ample et profonde. En prétendant donner un coup de pouce à cette vague parce qu’elle tardait à se former d’elle-même, les chars américains envoyés sur les bords de l’Euphrate n’ont nullement contribué à faire baisser l’intensité de ces sentiments. C’est que la modernité, avec ses valeurs, ses mécanismes, ses institutions, a fait des ravages durables dans les sociétés du Levant. Ceux chez qui la modernité était née il y a deux ou trois siècles, avant que leur zèle missionnaire ne conduise à la rendre universelle, auraient bien tort de l’ignorer.


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